lundi, novembre 09, 2009

Ivano Ghirardini, quelques notes techniques sur des exp^éditions


NOTES TECHNIQUES
Tableau comparatif des expéditions

K2, 8611 m, année 1979, de juin à septembre. Durée quatre mois de Paris à Paris. Sommet tenté début septembre. Arête sud-sud-ouest. Première échouée pour 150m.
Logistique : quatorze grimpeurs, un médecin, sept membres annexes, deux cuisiniers, deux aides, deux officiers de liaison, huit/dix porteurs d'altitude, mille quatre cents porteurs de vallée à l'aller, cent cinquante pour le retour, cinquante-cinq porteurs de moyenne altitude jusqu'au camp I.
Altitude atteinte : 8 450 m, dont vingt assauts a plus de 8 000 m qui tous échoueront dans le mauvais temps. Seule, la cordée la plus haute, Leroy-Monacci utilisera un peu d'oxygène. Tous les membres de l'équipe atteindront au moins une fois 8000m. Passages de V + et A2.
Cause principale de l'échec : un départ trop tardif de l'expédition arrivée le 9 juillet au camp de base, retard causé par la présence d'une expédition italienne sur la même voie laquelle changera d'itinéraire dès le camp de base. L'hiver arrive vite dans le Karakorum et, dès septembre, sauf exceptions, les températures tombent très vite. Départ du camp de base le 20 septembre.
Matériel utilisé : 1 000 m de cordes, tentes de parois et mess, infrastructure très lourde, échelles métalliques, oxygène prévu mais pratiquement non utilisé et refusé par certains membres. Avec six camps d'altitude dont deux très importants I et II. Budget : 3 000 000 de francs prévus mais ce budget sera dépassé.
MITRE PEAK, 6010 m, année 1980, Himalaya du Karakorum, sommet vierge. Du 15 avril à fin juillet. Première ascension, première solitaire. Face ouest et arête du Croissant de Lune. Escalade mixte V+ A2.
Logistique : un grimpeur, une aide médicale (ma femme), un officier de liaison et un cuisinier pour l'officier de liaison. Dix et six porteurs de vallée, deux pour le retour, sans porteurs d'altitude ni oxygène médical.
Sommet atteint: le 2 juin 1980, en trois jours d'ascension en technique alpine, sans camp intermédiaire, cordes fixes, reconnaissance préalable. Redescente en deux jours. Très mauvais rocher dans l'ensemble et mauvaises conditions de neige et de météo.
Budget: 35000fr. Matériel: 80kg en tout, au départ de France.
ACONCAGUA, 6959m (7010m), face sud, fin janvier-début février 1981. Première en solo intégral de la face sud. VI/A1
Logistique: trois grimpeurs (deux abandonneront dès la marche d'approche). Tentative solitaire au pic sud (800m env. gravis). Le portage jusqu'au camp de base se fera, sans se servir des mules et sans aide, en trois journées de portages, 26 km depuis Puente del Inca. Pas de médecin.
Sommet atteint : le 2 février 1981, ascension de trois jours avec un dernier bivouac 50 m sous la crête sommitale à cause de la tempête. En style alpin, sans reconnaissance préalable ni tente. Sortie par la variante Messner.
Durée totale de l'expédition: trois semaines de Madrid à Madrid.
Sommet atteint : douze jours seulement après être partis de France.
Budget: 22 000 F (pour trois).
MAKALU, 8481 m. Tentative solitaire au pilier ouest en hiver.
Durée de l'expédition: du 5 décembre au 15 février, de Paris à Paris. Arrivée au camp de base le 31 décembre et retour le 31 janvier.
Altitudes atteintes: environ 7000m sur le pilier ouest et 7 100 sur la voie normale du glacier de Chago.
Problèmes rencontrés : vents très violents en altitude à partir de 7 000 m avec des températures compensées extrêmement basses. Pendant tout le mois de janvier, quatre jours non consécutifs sans vent, ce qui empêchait toute progression vers le sommet. Certaines accalmies duraient à peine quelques heures.
Logistique : un grimpeur, un officier de liaison qui, fait à noter, restera pour une fois au camp de base, un cuisinier, un mail runner obligatoire, sept Sherpas à l'aller, un seul pour le retour.
Budget : 18 000 F. Sans doute la plus petite expé sur un 8 000 m.
Observation : dans ma deuxième tentative par le glacier de Chago, le temps se mit à changer rapidement. D'abord froid et sec en janvier - il n'y avait pas de neige au camp de base -, puis humide et beaucoup plus doux fin janvier. Nous éviterons la catastrophe de justesse car nous franchirons le col de Barun, 4 300 m, quelques heures avant une chute de neige très importante. Plus d'un mètre de neige en une nuit. Ce changement très net de climat me fit penser que l'hiver avec la mousson sèche avait fini le 29 janvier sur la région du Makalu.
MONT MAC KINLEY, 6193m, face sud, ascension de l'éperon Cassin en style alpin.
Durée de l'expédition : dix-huit jours de Paris à Paris. Ascension de l'éperon Cassin en six jours et demi dont deux bloqués par la tempête à 4 300 et 5 200 m.
Logistique: deux grimpeurs, portage sur skis, 60kg en tout pour toute l'expédition. Sac de quinze et huit kilos sur l'éperon. L'éperon Cassin n'est pas très difficile : IV et 60°, mais long et engagé vu les risques de tempête très fréquents sur le Mac Kinley.
ACCLIMATATION: aucun problème personnel. Au K 2, il m'a fallu un mois pour atteindre 8000m, mais ensuite je suis resté plus de douze jours continus au-dessus de 7 500 m, avec trois montées au-dessus de 8 000 m, un bivouac à 8 350 m, une nuit à 8 000 m, sans oxygène, preuve que l'existence de la zone de la mort au-dessus de 7 000 m n'est peut-être pas fondée. Les autres expéditions sont caractérisées par une montée très rapide en altitude sans trop de problèmes, ex : Aconcagua, sommet douze jours après le départ de France, Mac Kinley, quatorze jours, Makalu 7 000 m, onze jours après arrivée au camp de base. Il se produit comme une sorte d'acclimatation permanente qui raccourcit énormément la durée des montées en altitude. Mon travail de guide et les tests que j'ai passés montrant des capacités importantes au niveau respiratoire sont un atout de plus.
PORTAGE: le moins possible de recours à l'aide extérieure. Pour le Mac Kinley ou l'Aconcagua, nous avons tout porté nous-mêmes. Pour l'Himalaya, ce n'est plus possible car il y a l'officier de liaison et son cuisinier qui, eux, ne veulent pas porter et qu'il faut nourrir.
BUDGET: si l'on porte soi-même et si l'on n'a pas de fret, pas de besoins de luxe comme une table au camp de base ou autre, il est possible de serrer beaucoup ses prix. Au début, mon travail de conseiller technique m'a permis de financer entièrement mes expéditions au Mitre Peak ou à l'Aconcagua. Mais j'y ai vite renoncé car je ne voulais pas devenir un homme-sandwich récupéré par des puissances d'argent et d'intérêts. J'ai financé mes expéditions au Makalu et au Mac Kinley exclusivement avec les recettes de mes conférences. Pour être plus indépendant encore, j'ai créé une petite fabrique de matériel qui produit un matériel très technique et très adapté aux expéditions légères.
PROBLEMES ADMINISTRATIFS : il faut regretter de plus en plus toutes ces barrières aussi bien sur le plan de l'autorisation que financières qui empêchent plus qu'autre chose le nombre des expéditions alors que le nombre des touristes et randonneurs n'est pas freiné et que l'on souhaite même qu'il augmente. Il faudrait supprimer les royalties. Les porteurs et Sherpas doivent s'organiser en compagnies comme les guides dans nos vallées : ce sont des gens responsables et très compétents, et les mieux à même de s'occuper du développement de leurs vallées, mieux en tout cas que des fonctionnaires dans une capitale. L'accès doit être libre pour tous avec le respect de la montagne, des sites, de la faune et de la flore et de la population locale. En fait, qui a demandé et à qui servent ces réglementations ? Pour servir des intérêts particuliers venant des pays organisateurs d'expéditions, prestiges nationaux en jeu ou grimpeurs professionnels ? L'autorisation est une façon commode de se réserver une montagne pour trois mois et éliminer ainsi toute concurrence, c'est une façon aussi de vendre ensuite de l'exploit. Zone de la mort, suspens du sommet, directs parfois, etc. Ce côté exploitation avec grands déballages de moyens et d'argent a fait beaucoup de tort à l'himalayisme et donné une mauvaise image des expéditions. Comment pourrions-nous oublier Mummery qui, au siècle passé, se lançait déjà dans le Nanga Parbat, les exploits de Buhl ou Messner ? Oui l'Himalaya est possible léger, sympa et noble. Car où peut être le mérite et la noblesse dans une grande expédition ? Combien d'itinéraires désormais enchaînés par des milliers de mètres de cordes fixes qui resteront à jamais ? Quel sera le plaisir de ceux qui viendront après nous ? Cet état de fait vient d'hommes qui ont voulu le sommet sans se soucier des moyens. Mais le plus grave c'est que ces hommes liés par des intérêts nationaux de gloire ou d'argent ont faussé à la base le problème des grandes ascensions sur les 8 000 m. Pourtant, le premier 8 000 m gravi, l'Annapurna, était déjà une belle et noble aventure technique alpine. Alors, pourquoi n'avoir pas continué ? Il faudra tôt ou tard supprimer toutes les réglementations et au contraire faire un effort d'information et de responsabilisation des alpinistes. Tout le monde y gagnera et ces belles montagnes retrouveront une partie de leur pureté. L'alpinisme, au-delà d'une simple ascension, peut être une des plus belles formes d'échanges, de respect et de compréhension entre peuples, races et hommes.
ALIMENTATION : je suis végétarien depuis le Linceul. La meilleure nourriture est encore celle des porteurs, ou locale, ce qui diminue de beaucoup les frais d'une expédition. Chapattis, dal, riz, sont de bons aliments de l'effort.
MÉDECINE: inutile de prendre des médicaments modernes, c'est peut-être encore la meilleure façon de tomber malade ou d'avoir un coup de pompe. Par contre une petite pharmacie d'urgence contre blessures et coups est indispensable. Ne pas en oublier aussi pour les populations locales dont le manque d'hygiène est cause de nombreux problèmes.